Hygiène de l'assassin, d'Amélie Nothomb Une œuvre nocive Résumé de la pièce : Prétextat Tach est un grand écrivain sur le point de mourir. Quelques journalistes viennent donc chez lui pour l'interviewer sur sa vie et son œuvre. Personnages : Prétextat Tach et le journaliste. Situation : Un jeune journaliste interroge Prétextat Tach sur son incroyable succès à travers le monde. Le journaliste Reprenons notre entretien monsieur Tach. Comment expliquez-vous le succès extraordinaire... Prétextat Tach Vous voulez un Alexandra ? Le journaliste Non merci. Je disais donc le succès extraordinaire… Prétextat Tach J'en veux un, moi. Le journaliste Monsieur Tach, comment expliquez-vous le succès extraordinaire de votre oeuvre à travers le monde ? Prétextat Tach Je ne l'explique pas. Le journaliste Allons, vous avez bien dû y réfléchir et imaginer des réponses. Prétextat Tach Non. Le journaliste Non ? Prétextat Tach Non. Le journaliste Vous avez vendu des millions d'exemplaires jusqu'en Chine et cela ne vous a pas fait réfléchir ? Prétextat Tach Les usines d'armement vendent chaque jour des milliers de missiles à travers le monde ça ne les fait pas réfléchir non plus. Le journaliste Ça n'a rien à voir. Prétextat Tach Vous croyez ? Le journaliste La littérature est moins nocive. Prétextat Tach Pas la mienne. La mienne est plus nocive qu'une guerre. Le journaliste Ne seriez-vous pas en train de vous flatter ? Prétextat Tach Il faut bien que je le fasse puisque je suis le seul lecteur à même de me comprendre. Oui mes livres sont plus nocifs qu'une guerre, elle donne envie de vivre. Après m'avoir lu, les gens devraient se suicider. Le journaliste Comment expliquez-vous qu'ils ne le fassent pas ? Prétextat Tach Ça en revanche, je l'explique très facilement, c'est parce que personne ne me lit. Au fond, c'est peut-être là une explication de mon immense succès. Si je suis célèbre, cher monsieur, c'est parce que personne ne me lit. Le journaliste Paradoxal. Prétextat Tach N'est-il pas réconfortant pour un vrai, un pur, un grand, un génial écrivain comme moi de savoir que personne ne me lit, que personne ne souille de son regard les beautés auxquelles j'ai donné naissance dans le secret des mes tréfonds et de ma solitude. En fait, mon immense succès a commencé après la guerre ; c'est marrant d'ailleurs parce que je n'ai pas du tout participé à cette rigolade, j'étais presque impotent et puis dix ans plus tôt on m'avait réformé pour obésité. En 45, a débuté la grande expiation : confusément ou non, les gens ont senti qu'ils avaient quelque chose à se reprocher et ils sont tombés sur mes romans qui hurlaient comme des imprécations, qui regorgeaient d'ordures, et ils ont décidé que ce serait une punition à la démesure de leur bassesse. Le journaliste L'était-ce ? Prétextat Tach Ce pouvait l'être. Ce pouvait être autre chose aussi. Je n'aime pas les gens.